Les ressources numériques, l’épine dans le pied des bibliothèques

Les ressources numériques en bibliothèque
Les ressources numériques en bibliothèque

A quelques jours d’intervalles, nos collègues du Québec ont produit deux documents plutôt intéressants relatifs à la médiation numérique des savoirs. Le premier s’intitule Guide d’initiatives de médiation numérique en bibliothèque au Québec et ailleurs et le second Livres et Ressources numériques en bibliothèques publiques : quoi faire pour que ça marche ! A la lecture de ces documents, on peut se rassurer en constatant que les bibliothécaires du Québécois rencontrent les mêmes problématiques que nous : Comment rendre appropriables par les usagers les ressources numériques acquises par les bibliothèques ?

L’importance de la médiation numérique

Ces deux documents n’apportent pas d’éléments particulièrement nouveaux à la théorie de la médiation numérique. Mais ils constituent une synthèse concrète et complémentaire au livre consacré à la médiation numérique écrit par Lionel Dujol et Silvère Mercier. Plusieurs cas pratiques sont évoqués dans ce guide : le livre numérique, Wikipédia, heure du conte, ressources numériques… La valeur ajoutée du Guide d’initiatives de médiation numérique en bibliothèque au Québec et ailleurs réside notamment dans sa forme. Pour chaque idée de dispositif, la fiche reprend le contexte, le ou les objectifs, le public cible, les moyens humains, financiers et techniques, les supports de communication employés, la durée du dispositif ainsi que quelques éléments de retours sur l’expérience. A ce titre la fiche consacrée à la mise en avant des ressources numériques par l’intermédiaire de billets de blog est particulièrement utile. Cette fiche analyse les points qui méritent, d’après les bibliothécaires, d’être améliorés pour être plus efficaces (rythme de publication, pronom personnel employé, longueur des billets). Il ne faut pas oublier qu’un dispositif de médiation numérique s’évalue ! Les fiches insistent également sur des points cruciaux dans la réussite d’un projet de médiation numérique qui ne sont parfois pas suffisamment pris en compte. Il s’agit notamment de la formation en interne nécessaire pour atteindre l’objectif fixé en amont. Si elle ne garantit pas à tous les coups la réussite, la formation de l’ensemble de l’équipe au fonctionnement d’une ressource ou de son contenu est un prérequis indispensable car elle garantit la capacité des agents à pouvoir effectuer dans un second temps la médiation humaine auprès des usagers. Le second document Livres et ressources numériques en bibliothèques publiques consacre d’ailleurs toute une page à la formation du personnel qui est présentée comme :

« un préalable indispensable pour une intégration optimale des ressources numériques à l’offre de services des bibliothèques. Elle garantit un premier niveau de promotion et de soutien auprès des usagers. »

Les dispositifs passerelles sont souvent suggérés pour mettre en valeur les ressources numériques proposées par une bibliothèque. L’idée est de rematéraliser ce qui n’est pas visible pour montrer l’existence de la ressource et suggérer l’envie à l’usager de se l’approprier. Plusieurs stratégies peuvent être mises en oeuvre pour accroître la visibilité d’une ressource (flyers, affiches, écran de veille des ordinateurs, totems, des fantômes, des pastilles sur les exemplaires physiques « Existe en numérique »…). Les idées ne manquent pas. La médiathèque départementale d’Ille-et-Vilaine avait proposé quelques astuces pour faire connaître les ressources numériques. Redonner corps aux ressources immatérielles est une chose sur lesquelles nous pouvons agir pour favoriser l’appropriation par les usagers. Cependant, il existe un autre facteur à prendre en compte et sur lequel nous n’avons pas la main. Il s’agit de l’accès et de l’ergonomie de la ressource à laquelle nous donnons accès. Si la ressource nécessite un mot de passe et un identifiant différent, s’il y a des DRM qui compliquent le processus de téléchargement, si ce n’est pas multi-plateformes, tout cela constitue des obstacles qu’aucun dispositif passerelle ne sera en capacité de surmonter.

Et si on faisait le bilan des ressources numériques ?

Depuis une dizaine d’années d’expérience des ressources numériques, on constate qu’il est toujours difficile de valoriser ces contenus acquis à prix d’or. La question de la rematérialisation des ressources pour compenser leur caractère immatériel est une préoccupation toujours présente.

Où est-ce qu’on a raté ? Comment expliquer cette nécessité et cette difficulté de promouvoir nos ressources en ligne à l’heure où l’écran demeure le support privilégié pour accéder à des contenus culturels ? Qu’est-ce qui explique qu’on soit encore obligé de montrer nos sites web aux usagers et que ces derniers répondent « Ah, je ne savais pas que vous aviez un site » ? Pourquoi la possibilité que la bibliothèque propose des contenus numériques ne soit pas devenue une évidence pour les usagers ? On est tous à la recherche de la solution miracle qui fera exploser les statistiques d’utilisation de telle ou telle ressource. (Mais avons-nous cette même exigence avec les autres supports qui constituent les collections d’une bibliothèque ?)

Une partie de la réponse se trouve dans la stratégie que les bibliothèques ont menée pendant plusieurs années : acquérir des ressources numériques issues d’écosystèmes isolés des pratiques de consommation culturelle des internautes. Les méthodes d’accès et de consultation étaient trop différentes et ont constitué des barrières. Nous avons voulu reproduire le monopole dont nous jouissions dans l’écosystème physique pour fournir un accès aux documents. On a voulu accumuler et fournir un accès en contrôlant et en régulant pour avoir le sentiment d’être indispensable. Or il est incontestable que les internautes n’ont pas besoin de nous pour accéder à des œuvres en ligne. La cause de cette réaction trouve peut-être son origine dans le caractère nouveau qui nous a pris de court et on a appliqué par réflexe les mêmes mécanismes qu’on connaissait et qu’on maîtrisait.

Mais cela a été une erreur dont on mesure encore les effets aujourd’hui. On a rejeté le web et les ressources dont il dispose et sur lesquelles on aurait pu construire des dispositifs de médiation numérique. On aurait pu demander à nos prestataires de développer des outils et des interfaces adaptés à un travail de curation favorisant la dissémination des contenus repérés sur le web. Par ailleurs les bibliothèques sont investies dans le web de données (dont l’objectif est d’améliorer la visibilité et la réutilisation des données) mais on a raté le coche concernant la réutilisation des contenus du web. Il n’est pas trop tard, nous pouvons encore réagir en proposant des parcours répondant à des besoins informationnels ou de divertissement. Il faudra peut-être pour cela réussir à s’affranchir des ressources numériques.

6 commentaires à propos de “Les ressources numériques, l’épine dans le pied des bibliothèques”

  1. Rétroliens : Numérique | Pearltrees

  2. Rétroliens : Missions - métier | Pearltrees

  3. Rétroliens : Gulegule | Pearltrees

  4. Rétroliens : La médiation numérique en bibliothèque: on parle de nous !

  5. Rétroliens : Point d’étape sur les ressources numériques en #bibliothèques – Veille et humeurs numériques

  6. Bonjour, Je fais écho au dernier paragraphe « on aurait pu demander à nos prestataires…. ». Outre la simplicité de notre modèle établi en 2001, nous n’avons pas attendu qu’on nous le demande 😉 tant il nous paraissait évident au contact permanent des usagers (les éditeurs en font partie) que c’était indispensable.

    Voici quelques unes de nos réponses:

    http://www.casalini.it/retreat/web_content/2018/presentations/briys_delrue_roux_Text.pdf

    https://twitter.com/Cyberlibris/status/921407441430073345

    https://www.youtube.com/watch?v=DSE3JLPyAd0&list=PLHC_dbFLZp1r-pr6OhrX9DZf-WhefNygk

    https://www.bibliovox.com/catalog/book/docid/88837305 (voir en particulier le chapitre intitulé « Bibliothèque euclidienne, bibliothèque créolisée »

    Plus encore, sous peu 😉

    En bref, donner naissance à une économie circulaire « ordre (ce que les bibliothécaires savent très bien faire – « top-down ») – désordre (« ce que nous essayons de toujours mieux faire – bottom-up »). A votre disposition pour y réfléchir ensemble, pour faire jaillir de nouvelles idées.

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