La reconnaissance faciale en bibliothèque n’est plus une chimère

La reconnaissance faciale est en train d’envahir notre quotidien. Entre les smartphones qui intègrent cette technologie pour déverrouiller l’appareil, l’accès aux services publics ou le déploiement de caméras pour observer et repérer les comportements suspects, la reconnaissance faciale nous entoure. Les bibliothèques ne sont pas épargnées et certaines utilisent cette technologie pour l’emprunt des documents.

Des sociétés qui proposent…

La reconnaissance faciale a le vent en poupe et est en train de devenir un marché particulièrement lucratif. Une étude de 2019 prévoit un « taux de croissance annuel moyen de 16% sur la période 2019-2024. »

L’identification et l’authentification à des fins de technopolice vendues dans un contexte de surenchères sécuritaires laissent aujourd’hui la place à d’autres usages. Les entreprises ont développé des technologies qui peuvent être utilisées dans différents environnements. Et pourquoi pas celui des bibliothèques ?

Une des premières entreprises que j’ai repérées qui proposent ce service est Helmes qui se présente comme un alchimiste des logiciels pour entreprises. C’est déjà tout un programme. L’entreprise a mis au point un dispositif de reconnaissance faciale pour permettre à ses salariés d’emprunter des livres. Ne jamais consommer la drogue qu’on refourgue à ses clients…

Comme on peut le voir sur la vidéo, l’employé se présente devant la caméra avec le livre qu’il souhaite emprunter. L’algorithme identifie puis authentifie la personne et le prêt est enregistré sur le compte de la personne qui doit valider la transaction avec le doigt. La première réaction qui me vient : pourquoi ne pas utiliser un automate si on doit finaliser une opération en appuyant sur un écran tactile ?

Ce dispositif est déjà en lui-même assez inquiétant mais le spécialiste en machine learning de l’entreprise est encore plus surprenant. Il regrette que la solution ne soit pas connectée à la base nationale des photos des documents administratifs parce que cela permettrait aux bibliothèques de pouvoir déployer le système de reconnaissance faciale.

If the solution were connected with the national database of document photos, it would be technically possible to start using face recognition-based lending in public libraries as well. We could do away with the library card and literally hand out books judging by the borrower’s face 


https://www.helmes.com/book-lending-based-on-face-recognition/

Puis il poursuit avec une phrase qui lui permet de décrocher le Big Brother Award 2019 (leur article a été publié en 2019). « Chaque prêt est connecté aux profils de l’employé et les mentors peuvent voir ce que les employés lisent et leur recommander d’autres lectures pour approfondir leurs connaissances. »

Thales, mastodonte des technologies, considère aussi que les bibliothèques pourraient être un lieu propice au déploiement de la reconnaissance faciale.

…aux bibliothèques qui disposent

En Chine, j’ai identifié plusieurs établissements qui permettent le prêt grâce à la reconnaissance faciale. Après tout, en Chine on peut payer chez KFC avec son visage, pourquoi ne pas emprunter des livres ?

Depuis 2017, la bibliothèque de la ville de Guangzhou fournit ce service. L’argument qui est avancé est celui de la facilité de l’opération. Ce serait plus simple de montrer sa trombine à une caméra que d’utiliser sa carte de bibliothèque. Je veux bien que les automates de prêts peuvent parfois être facétieux mais ils fonctionnent globalement correctement. L’argument de l’expérience utilisateur est souvent celui mis en avant pour dissimuler les enjeux et les conséquences de cette technologie.

L’établissement de Guangzhou qui a déployé la reconnaissance faciale est une bibliothèque jeunesse. Ce dispositif contribue – comme d’autres services en Chine – à favoriser l’acceptation et l’accoutumance à cette technologie. En tombant dans la marmite en étant jeune, c’est plus difficile d’en percevoir les risques et les menaces qu’elle peut représenter dans un autre contexte.

Au moins une autre bibliothèque en Chine propose de la reconnaissance faciale pour emprunter des documents. Mais je n’ai pas réussi à trouver plus d’informations que cette page. L’argument de la simplicité d’utilisation est ici complétée par l’argument du gain de temps.

Singapour fait également partie des villes qui disposent de la reconnaissance faciale pour gérer le prêt de documents dans ses bibliothèques. Le dispositif semble être le plus évolué de tous. Le prêt peut être effectué avec plusieurs documents en même temps (jusqu’à 5). L’usager présente son visage devant la caméra qui doit l’authentifier. Il passe un portique où il patiente le temps que l’authentification se produise. Puis les livres sont ajoutés sur son compte. Enfin le portique s’ouvre.

Les risques et les dérives de la reconnaissance faciale

Tout d’abord, les algorithmes de reconnaissance faciale n’ont pas encore démontré leur efficacité. Par ailleurs, ils sont sources de discriminations. En effet, plusieurs études ont montré que les personnes noires ou les femmes étaient moins bien identifiées et reconnues par les algorithmes.

En outre, même si leur efficacité tend à être démontrée, les algorithmes de reconnaissance faciale peuvent par leur simple présence exacerber une forme d’auto-contrôle. Par crainte d’apparaître comme un élément suspect, ces dispositifs nous poussent à nous soumettre à une norme sociale. Notre façon d’occuper l’espace public est aussi remis en question. Un simple stationnement peut être considéré comme suspect et déclencher l’intervention des forces de l’ordre.

Enfin, je vous recommande le documentaire diffusé sur Arte Tous surveillés – 7 milliards de suspects qui finira de vous convaincre des dangers que représente cette technologie.

2 commentaires à propos de “La reconnaissance faciale en bibliothèque n’est plus une chimère”

  1. Salut Thomas. Je suis totalement d accord avec la problématique de la reconnaissance faciale et son implication dans nos libertés .je ne rentre pas dans le détail tu le fais très bien. Par contre je la découvre dans les bibliothèques. Mazette comme aurait dit ma même, il faut encore plus faire attention à la gestion des données et le faire savoir à nos publics. Nous sommes le premier maillon de la défense de nos données. Merci pour ton travail et que cela puisse être relayé par tous les bibliothécaires

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