10 ans de Biblio Numericus, ça se fête !

Novembre 2012, la biblioblogosphère accueillait un nouveau nom de domaine : biblionumericus.fr. Au regard de l’état de la blogosphère professionnelle aujourd’hui, autant dire que j’ai l’impression d’être un dinosaure. Les blogs de professionnels ont aussi été victimes de la place occupée aujourd’hui par les médias sociaux. On n’écrit plus trop de billets mais on publie un post sur Facebook, un tweet de 280 caractères ou un pouet sur une instance Mastodon… 2012, c’est aussi l’année de mon premier poste d’assistant multimédia au sein du réseau des bibliothèques d’Aulnay-sous-Bois. 10 ans plus tard, quel chemin parcouru ? Quelles victoires et surtout quelles défaites ? Retour sur 10 ans de vie professionnelle et d’engagement.

Novembre 2012, enregistrement du domaine biblionumericus.fr

La chance d’expérimenter

J’ai commencé à travailler en bibliothèque à une époque où le numérique était encore vraiment une niche. Aujourd’hui, même si c’est loin de faire l’unanimité ou si l’acculturation au numérique de l’ensemble de la profession reste un mythe, les postes de médiateur-rices numériques, de responsable de médiation numérique, de développement de l’innovation numérique sont monnaie courante. Bien évidemment, il y a des disparités au sein des collectivités. Mais il y a globalement une prise en compte du numérique comme socle fondamental au même titre que la politique documentaire

Quand j’ai commencé, on n’était pas loin d’être dans le far west avec un horizon à conquérir. Bien sûr, il y avait déjà quelques pionniers qui nous avaient ouvert la voie. Les copains de Biblioquest, Silvère Mercier, Lionel Dujol, Lionel Maurel en tête, conduisaient la diligence pour essayer de développer la médiation numérique au sein des bibliothèques et faire comprendre aux directions d’établissements les enjeux de s’emparer du numérique. A cette époque, l’os à ronger pour les bibliothécaires étaient les ressources numériques. Ces nouveaux objets semblaient être le Graal et une opportunité pour les bibliothèques de renouveler leur image et de proposer des services innovants à leurs publics.

Les ressources numériques

10 ans plus tard, a-t-on vraiment avancé du côté des ressources numériques ? Avons-nous réussi à faire évoluer les modèles économiques des offres vendues à prix d’or ? En 2022, on en est encore à devoir négocier des tarifs auprès des fournisseurs de ressources numériques. Est-ce normal que deux collectivités de taillent équivalentes soient susceptibles de ne pas payer le même prix pour un même service ? C’est pas comme si des collègues consacraient du temps et de l’énergie dans des associations conçues pour permettre aux bibliothèques d’obtenir des tarifs préférentiels.

Peu de bibliothèques négocient les ressources numériques avant acquisition (14%), ce qui est toutefois le cas pour les bibliothèques de grande taille (41%) et les bibliothèques départementales
(59%).

Etude sur les ressources numériques en bibliothèque de lecture publique

A mon sens, ces questions de coûts nous ont détournés des véritables enjeux des ressources numériques. C’est bien beau d’acheter des jetons et des licences de belles ressources dématérialisées si c’est pour qu’elles restent à prendre la poussière dans des serveurs.

Nous en avons fait collectivement l’expérience durant les confinements. Du jour au lendemain, les stats de consultations des plateformes de VOD ou d’autoformation ont explosé. C’est bien le signe que les publics ont été capables de les identifier et de pouvoir y accéder. La question n’est donc pas dans le catalogue ni dans les modalités d’accès qui se sont fortement améliorées ces dernières années. La réponse à cette énigme provient bien du manque de valorisation et de médiation de ces ressources par l’ensemble des agents qui composent une équipe. Nous pensons souvent en silo quand il s’agit de contenus à valoriser. Pensons usages ! Nos publics ne sont pas des monomaniaques des supports. Ils empruntent du physique, écoutent des podcasts dans les transports, un livre-audio dans la voiture, regardent une vidéo sur YouTube, profitent d’une série sur Netflix ou Prime et assistent à des concerts. Leurs usages ne sont pas cloisonnés. Ils jonglent de l’un à l’autre en fonction de l’opportunité et de la facilité pour y accéder. Effectivement, si c’est plus simple d’écouter le dernier album de Taylor Swift sur Spotify, ils ne viendront pas se casser le nez à la bibliothèque parce qu’il est déjà emprunté et réservé par 3 personnes. Mais est-ce que notre plus-value réside dans la transmission d’un support ou dans notre capacité à satisfaire un besoin informationnel et documentaire ? Fin 2022, on dénonce la fin d’un support ou on s’interroge sur la fin des DVD

Eh bien 10 ans plus tard, j’ai l’impression que ce combat n’a pas beaucoup évolué. On considère bien trop souvent les contenus dématérialisés (issus des ressources numériques achetées ou du web) comme le parent pauvre des collections. Sans compter l’existence de cette hiérarchie de valeurs entre les ressources disponibles sur le web (libres ou non) et les contenus loués auprès de fournisseurs de ressources numériques. Je crois que ce prisme « si on paye, c’est que c’est bien » est encore inscrit dans l’imaginaire collectif. Et pourtant on achète souvent de la daube (coucou Zemmour et autres ignominies présentes sur les rayonnages de certains établissements). 

Courir après le train de l’innovation

Entre volonté de vouloir apparaître moderne et crise identitaire, on a cette tendance à courir après la moindre tendance pour justifier notre caractère indispensable. Je le rappelle, si on était indispensable, la présence obligatoire d’une bibliothèque dans chaque collectivité serait inscrite dans la loi. Au lieu de ça, on est dans une fuite en avant et dans une course à l’innovation en ayant trois métros de retard. Est-ce de l’innovation de mettre en place un accès à une ressource numérique ? Est-ce innovant de faire une animation autour de la VR ? Est-ce innovant d’être présent sur TikTok ? Est-ce innovant de fabriquer des objets en 3D ? Est-ce innovant d’utiliser un fer à souder et des leds ? A l’heure du web3, de l’IA, des métavers ou de la blockchain, je suis surpris qu’aucun projet d’envergure n’existe si les bibliothèques sont effectivement au coeur de l’innovation.

Que les choses soient claires, je ne jette pas la pierre aux collègues qui investissent du temps et de l’énergie derrière ces projets. Je reproche juste le manque de sincérité sur le regard porté collectivement par la profession sur ces dispositifs. On se gargarise, on se félicite dans un entre-soi qui a parfois des allures de boys club, on se congratule lors de journées d’étude ou de congrès mais quel bilan peut-on tirer de tout ça ? Où est-ce qu’on peut trouver les évaluations de dispositifs numériques pseudo-disruptifs ? On s’est brûlé la rétine à avoir le nez collé sur ce qui brillait en oubliant de se poser parfois les bonnes questions. Osons expérimenter mais parce que cela a du sens sur son territoire au regard de la population, ses besoins, ses usages et en prenant en compte le maillage du territoire et les acteurs présents issus du milieu associatifs ou institutionnels. On a le droit de se tromper dans des projets (et j’en ai expérimenté des choses qui ont échoué). Mais n’oublions pas de nous interroger pourquoi cela a échoué.

Le choix de certaines batailles

En 10 ans de carrière dans le numérique en bibliothèque, j’ai eu l’occasion de mener un certain nombre de luttes. Souvent incomprises, souvent en étant minoritaires. Mais ce n’est pas parce qu’on est minoritaires qu’on a tort. Le constat que je peux faire des ces batailles, c’est que l’engagement global de la profession via les associations représentatives dépend du caractère politique de la bagarre. Si c’est policé, soft et consensuel, on va pouvoir assister à une montée au créneau. Si ça revêt un caractère trop radical qui risque de nuire aux instances et aux relations avec les tutelles voire de perdre sa place dans les salons dorés des ministères, on n’est pas spécialement soutenu. 

Le combat que nous avions mené avec SavoirsCom1 sur les livres numériques en dénonçant les modèles économiques et les DRM de PNB n’a pas été réellement soutenu par les différentes associations professionnelles. Il y a bien eu quelques communiqués mais des négociations et des acquis ne s’arrachent pas grâce à des gratte-papiers. On n’aurait pu également espérer un engagement d’associations comme celle des directions des affaires culturelles en leur expliquant le caractère léonin des contrats qui nous liaient aux éditeurs. Mais cela nécessitait d’être convaincu que PNB n’était pas satisfaisant et de faire un travail de pédagogie et de lobbying auprès de ces instances de DAC. 10 ans plus tard, le game est plié. Ce n’est seulement que depuis peu qu’on peut télécharger un ebook avec la DRM allégée LCP.

De même que la lutte contre la surveillance et la protection des données personnelles, qui a permis de révéler les véritables positions de certaines personnes, a balayé d’un revers de main les chantiers engagés par des associations, renié les positions qui avaient été prises quitte à se mettre en porte-à-faux vis-à-vis de la loi. Plusieurs années après, ce combat et ce débat n’existent plus ou peu. On revendique à longueur de congrès que les bibliothèques participent à la construction des citoyen-nes mais quand les conditions nécessaires à la fabrication des citoyen-nes sont sapées, il n’y aucune réaction. Il ne faut pas être trop politique alors que le concept d’une bibliothèque est éminemment politique. On donne un accès aux savoirs et à l’information qui sont la clé de l’émancipation. Oh bien sûr il y a des prises de positions consensuelles qui sont gratuites comme la défense des libertés et de la démocratie en Ukraine mais ces communiqués sont à géométrie variable. Dès qu’on dépasse les frontières de l’Europe et de la Méditerranée, on constate un silence radio.

Quand je regarde dans le rétroviseur, ces 10 années ont un peu un goût d’amertume. Je fais le constat que beaucoup de choses ont évolué mais peu de choses ont véritablement changé. J’ai rencontré des collègues extraordinaires, j’ai été déçu par d’autres. J’ai appris que défendre ses idées et ses principes rapportent moins que de raconter du flan ou s’approprier le travail des autres. Mais est-ce que je le regrette ? En aucun cas. J’assume totalement mon rôle de poil à gratter. Puis parfois, il suffit de pas grand chose pour regonfler le moral et convaincre qu’on fait des choses qui ont du sens et qui ne sont pas déconnectées du reste de la société.

Joyeux anniversaire Biblio Numericus !

PS : Elon, c’est pas la peine de me faire une proposition de rachat. Merci !

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