Bibliothécaires, fiché-es S ?

Petit article politique au titre racoleur j’en conviens. Récemment La quadrature du Net a relayé l’affaire des inculpés du 8 décembre concernant des militants à qui on reproche d’avoir eu recours à des méthodes de chiffrement de leurs communications. Le simple fait d’utiliser des outils qui protègent la vie privée est assimilé à un comportement terroriste. Je vous invite à lire l’article de La Quadrature :

et la tribune publiée cette semaine sur le site du Monde

https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/06/14/attaches-aux-libertes-fondamentales-dans-l-espace-numerique-nous-defendons-le-droit-au-chiffrement-de-nos-communications_6177673_3232.html

Cette criminalisation de l’utilisation des outils de protection de la vie privée intervient dans un contexte particulier puisque nous sommes en juin 2023 et nous célébrons les 10 ans de l’affaire Snowden qui a révélé l’étendue des dispositifs de surveillance mis en place par les agences de renseignement américaines. La collusion entre les GAFAM et les officines panoptiques américaines a entraîné une relative prise de conscience collective et une envie de reprendre le contrôle sur notre vie privée en utilisant des outils et des services adaptés. La privacy est devenu un argument marketing et plusieurs acteurs ont émergé pour se frayer une place sur ce nouveau marché.

Quel lien entre des militants révolutionnaires et des bibliothécaires ?

A première vue, le lien n’est pas évident et il faut les adducteurs de JCVD (mate la réf à Médine) pour établir un pont entre les deux. Comme le rappelle La Quadrature, le parquet national anti-terroriste considère que le recours aux outils protégeant la vie privée s’apparente à des méthodes de terroristes mais que la formation à l’utilisation de ces outils aussi.

L’incrimination des compétences informatiques se double d’une attaque sur la transmission de ces dernières. Une partie entière du réquisitoire du PNAT, intitulée « La formation aux moyens de communication et de navigation sécurisée », s’attache à criminaliser les formations à l’hygiène numérique, aussi appelées « Chiffrofêtes » ou « Cryptoparties »

https://www.laquadrature.net/2023/06/05/affaire-du-8-decembre-le-chiffrement-des-communications-assimile-a-un-comportement-terroriste/

On touche du doigt le lien qui s’établit dès lors entre la mouvance de l’ultra-gauche, des éco-terroristes et les bibliothécaires, ou devrais-je dire les biblio-terroristes. En effet, nombre de bibliothécaires se sont engagé-s depuis des années maintenant dans la protection des données personnelles et la défense de la vie privée des usagers. Dès lors, les bibliothèques qui organisent des ateliers pour apprendre à se déGAFAMiser et adopter des outils protégeant la vie privée sont-elles des repères de terroristes ? Nous organisons des ateliers pour former les usagers. Si on s’appuie sur la conception du PNAT, nous contribuons donc à former des terroristes en puissance. Nous incarnons dans ce cas une forme de séparatisme républicain. A l’image des Soulèvements de la Terre, sommes-nous exposé-es à une menace de dissolution ?

  • Vous organisez des ateliers pour passer de Windows à Linux ? Terroristes !
  • Vous organisez des crypto parties ? Terroristes !
  • Vous proposez des collections pour aider les usagers à reprendre le contrôle sur leur vie privée ? Au pilon le Guide de l’autodéfense numérique, bande de terroristes !
  • Vous avez fait venir des militants des logiciels libres ? Terroristes !

La criminalisation de l’utilisation des outils de protection de la vie privée représente un problème à la fois démocratique mais aussi éthique. En effet, la question du droit au respect à la vie privée est fondamentalement inscrite dans l’ADN des bibliothèques. La remise en cause de cette liberté fondamentale est indirectement une remise en question des bibliothèques et de leurs missions. Le droit à la vie privée est consacré par un certains nombre de textes nationaux (Article 9 du Code Civil, loi informatique et liberté, jurisprudence du Conseil Constitutionnel…) et internationaux (Déclaration universelles des droits de l’homme de 1948, RGPD…) mais aussi dans des documents essentiels qui fondent les missions des bibliothèques (Manifeste de l’Unesco sur les bibliothèques publiques, IFLA, Charte Bib’lib de l’ABF…). De ce fait, pouvons-nous, en tant que profession, rester insensible et ne pas prendre position contre la criminalisation de l’utilisation des outils garantissant un droit à la vie privée ?

En tant que militant des libertés numériques, cette question me paraît fondamentale. Je ne peux pas m’empêcher de penser au débat, qu’il y a eu au sein de l’ABF il y a quelques années sur la question de la surveillance, engagé après la vague d’attentats qui a frappé la France. Si aujourd’hui l’association est prête à prendre des positions plus politiques notamment par rapport à l’organisation du congrès de l’IFLA à Dubaï, je regrette que ce courage politique n’a pas été assumé dès 2017-2018 quand nous étions quelques-un-es à essayer de défendre la protection de la vie privée des usagers. Pour les plus jeunes, je vous invite à lire ces tribunes que nous avions publiées à cette occasion.

Il y a 5 ans, on discutait au sein de la profession de sujets qui aujourd’hui sont en train de prendre une dimension liberticide extraordinaire. Je suis retombé sur ce commentaire, en réponse à l’ABF dans lequel j’exprimais une inquiétude sur le fait de légitimer et d’accepter la surveillance, qui avait un caractère prémonitoire assez déroutant :

Dans moins de 5 ans sont prévues des échéances électorales importantes. Ce qui a été accepté aujourd’hui se retournera probablement contre nous. Rendez-vous en 2027 quand l’extrême-droite sera au pouvoir.

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