PNB, le constat d’un échec ?

(Ce billet a été écrit en réaction à la publication du MCC de l’évaluation de PNB et n’engage que moi. En aucun cas, il ne reflète les positions de collectif ou association auxquels je peux adhérer)

Le Salon du livre de Paris s’est terminé en début de semaine. À l’occasion de ce gigantesque simulacre de fraternité, le Ministère de la Culture et de la Communication a publié des chiffres relatifs à PNB. Une nouvelle évaluation du dispositif dit-on.

 « Cette évaluation, élaborée en collaboration avec Dilicom, opérateur du portail PNB, avec les données qu’il collecte, a été réalisée grâce au travail d’un groupe de suivi réunissant les signataires des Douze recommandations pour une diffusion du livre numérique par les bibliothèques publiques, approuvées le 8 décembre 2014 ». (Source : MCC)

En d’autres termes, les acteurs participants à cette vaste arnaque se sont réunis en cachette et dans une opacité totale pour se gargariser de la pseudo-réussite de ce dispositif de mise à disposition de livres numériques par les bibliothèques. Le MCC a le toupet de préciser que ce groupe de travail a réuni les signataires des 12 recommandations. Pourquoi l’ABF n’a-t-elle pas fait partie de ce groupe d’évaluation alors qu’elle est signataire des 12 recommandations de décembre 2014 ? J’espère que le MCC apportera des explications.

Quelques chiffres (repris de chez Aldus)

  • 117 bibliothèques (53 BM, 34 bibliothèques intercommunales, 19 BDP) et 48 librairies sont raccordées à PNB ;
  • Plus de 25 des bibliothèques concernent des villes de plus de 100 000 habitants.  (Seulement 3 concernent des villes de moins de 10 000 habitants, en 2015);
  • 134 683 titres sont proposés aux collectivités ;
  • 210 555 prêts ont été réalisés entre janvier et décembre 2016.

Analysons rapidement ces chiffres

On considère qu’il y a 7000 bibliothèques sur le territoire (sans parler des points lecture).  117 sur 7000, comment appelle-t-on cela déjà ? Ah oui, une inégalité territoriale ! (L’ensemble des bibliothèques participantes sont listées ici Le principe de l’égalité d’accès entre les citoyens est dès lors rompue. Donc oui, les bibliothécaires sont vecteurs d’injustice (ce sera l’occasion d’en parler au prochain congrès de l’ABF.

Presque 135 000 titres sont proposés aux bibliothèques. De l’aveu du MCC, cela représente à peine plus de la moitié (53%, 252 209 titres disponibles pour les particuliers) des titres disponibles pour le grand public. Si c’est pour mettre à disposition des livres du domaine public « drmisés » par Fenixx, merci mais ce sera sans moi ! Sans compter que parmi ces 135 000 titres, il s’agit en fait de 135 000 fichiers Autrement dit pour un même titre, s’il y a un fichier PDF et epub, cela compte pour deux… Et pourtant, le MCC rappelle lui-même qu’il y a eu en décembre 2014, une signature d’un accord interprofessionnel sur le livre numérique en bibliothèque dans lequel les éditeurs s’engageaient à fournir l’ensemble des titres disponibles sans embargo :

« La première des douze Recommandations est de « donner accès aux bibliothèques publiques à l’intégralité de la production éditoriale numérique » :
« Dans la limite des droits cédés par les auteurs à leurs éditeurs, le catalogue proposé aux collectivités territoriales pour leurs bibliothèques doit être identique à celui proposé aux particuliers. Les conditions, notamment tarifaires et d’utilisation, peuvent cependant varier, dans le cadre des offres définies par les éditeurs. »

Plus de deux ans après, cet engagement n’est pas respecté. Les bibliothécaires ont joué le jeu mais force est de constater que les éditeurs nous prennent pour des buses. Les professionnels des bibliothèques devraient prendre conscience qu’on se fout de nous. Arrêtons d’avaler des couleuvres et sortons de ce dispositif ! Ce n’est pas la mise à disposition de livres numériques qui va sortir les bibliothèques du marasme dans lequel elles sont actuellement !

J’ai dénoncé à plusieurs reprises PNB, seul ou au travers de SavoirsCom1, notamment à cause du système de licence et de jetons de cette offre qui peut représenter rapidement un gouffre pour les finances des collectivités qui rejoignent PNB. Si on regarde dans le détail, là où se cache le diable, on se rend compte que cela peut effectivement coûter très cher. Sur les 135 000 titres, il y en plus de 42 000 (soit presque un tiers) qui ne sont accessibles que pour un utilisateur à la fois ! Si on souhaite fournir un accès simultané (ce qu’offre le numérique théoriquement) il faut acheter plusieurs fois le même fichier.

Concernant les prêts, Dilicom annonce 210 555 prêts pour l’année 2016 dont 133 786 en France. (contre 279, 5 millions prêts de livres physiques en 2015). Un chiffre relatif aux bibliothèques de la Ville de Paris est également assez éloquent :On apprend à travers cette slide que PNB dans les bibliothèques de la Ville de Paris est un service utilisé par 8000 usagers uniques (chiffre auquel il faut soustraire les professionnels) et seulement 2000 usagers réguliers. C’est bien de lancer des chiffres, le MCC et les défenseurs de PNB excellent dans ce domaine, mais il est intéressant de comparer ces 8000 usagers au nombre d’inscrits dans les bibliothèques de la capitale qui s’élève à 300 000 inscrits qui empruntent 9,9 millions de documents (chiffre auquel il faut soustraire les DVD et les CD). C’est très facile de jouer à la guerre des chiffres.

Grâce à cette évaluation, on se rend compte que le MCC est surtout le ministère de la Communication avant d’être celui de la Culture. Il a encore publié des beaux chiffres pour donner l’illusion que PNB est un service exceptionnel auquel nous devons tous adhérer. Mais chers collègues réfléchissons à deux fois avant d’engager de l’argent public dans ce dispositif en cette période de vache maigre. Cessons d’avaler des couleuvres et posons-nous les bonnes questions. Construisons des projets qui font sens sur nos territoires avant de nous lancer dans cette aventure catastrophique ! Appuyons-nous sur la décision de la CJUE sur le droit de prêt numérique pour construire d’autres modèles. Enfin, ne nous laissons pas avoir par les discours élogieux sur le futur DRM allégé LCP. Quid des titres déjà achetés garnis du DRM d’Adobe ? Les bibliothèques bénéficieront-elles d’une rétro-conversion ? Si oui, sera-t-elle gratuite ? Seront-elles piégées par les licences et devront-elles racheter les mêmes titres avec la DRM LCP ?

Une réponse à “PNB, le constat d’un échec ?”

  1. Bonjour,
    j’ai assisté moi aussi à ce bilan et regretté l’absence d’analyse du dispositif par rapport aux 12 points définis par l’interprofession en 2014 (voir : https://www.actualitte.com/article/tribunes/pnb-apres-l-experimentation-la-necessite-d-une-loi-sur-le-pret-numerique/68179).
    J’ai relevé, ceci dit, des inexactitudes dans votre analyse je pense :
    – L’étendue de l’offre est exprimée en titres, les différents formats pour un même titres sont bien pris en compte (148 000 fichiers, 135 000 titres)
    – Le nombre de bibliothèques « raccordées », concerne des réseaux et bibliothèques : la couverture estimée est 2000 bibliothèques (une seule BDP, par exemple permet à une centaine de bibliothèques municipales et à leurs usagers de télécharger des livres)
    – Le coût pour les bibliothèques : est très modulable, et c’est tout l’intérêt de PNB, en plus du fait de pouvoir constituer des collections titre à titre (là c’est à la fois possible, et compliqué, puisque l’offre éditoriale justement n’est pas si large..)
    – Bref, tout n’est pas négatif dans ce dispositif, à mon sens. Mais les seules statistiques d’usage ne peuvent pas suffire à une évaluation.

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