Le droit à l’anonymat selon l’IFLA

Au cours de l’été, l’IFLA a publié un article sur la relation entre anonymat et protection de la vie privée. Ce texte offre une réflexion intéressante et invite les bibliothécaires à penser leur pratique professionnelle en prenant en compte ces éléments. Merci à Damien Belvèze pour le signalement de cet article. Je vous propose une transcription du texte.

Le droit à l’anonymat ?

Le gouvernement autrichien a récemment proposé une réforme visant à supprimer l’anonymat sur internet, la question du droit à l’anonymat est donc à l’ordre du jour.

C’est la propagation des discours haineux sur internet et le fait que l’anonymat permette aux individus de diffuser des propos discriminants en toute impunité qui justifient cette réforme. S’il y a un risque d’être identifié et de se faire attraper, l’argument sous-entend que les individus modéreront leurs propos.

Les groupes de protection des libertés civiques s’y sont opposés soulignant que ce sont souvent les victimes des propos haineux – les groupes marginalisés et d’une manière générale, toutes les personnes en situation de vulnérabilité – qui ont le plus bénéficié de la possibilité d’utiliser internet sans devoir révéler leur véritable identité.

En quoi cela concerne-t-il les bibliothèques aussi bien sur le plan de leurs valeurs que de leurs pratiques ?

L’anonymat est un concept inscrit dans la Déclaration de l’IFLA sur la Liberté Intellectuelle qui célèbre ses 20 ans cette année :

Les usagers des bibliothèques ont le droit au respect de leur vie privée et à l’anonymat. Les bibliothécaires et l’ensemble du personnel de la bibliothèque ne doivent pas divulguer l’identité des usagers ou les ressources qu’ils utilisent à une tierce partie.

Parler de vie privée et d’anonymat est peut-être un peu confus. En effet, l’anonymat est plutôt un moyen particulièrement efficace pour garantir la vie privée. Si vous n’êtes jamais identifié dans ce que vous faîtes, il n’y a aucune possibilité pour quelqu’un d’autre de connaître vos préférences ou vos activités.

Par exemple, c’est la différence entre payer ses courses avec une carte bancaire ou avec de l’argent liquide. Payer avec une carte bancaire laisse des traces que le magasin ou le fournisseur de la carte peut utiliser pour dresser un profil. Payer en liquide ne laisse pas de traces. Il est beaucoup plus facile d’être anonyme dans ce cas.

Bien sûr, la protection de vie privée peut être assurée sans anonymat. Il existe des situations pour lesquelles la collecte de données personnelles est acceptable voire souhaitable.

En effet, cela est reconnu dans la législation telle que le RGPD en Europe. Il s’agit à la fois de s’assurer qu’il n’y a pas de données  plus que nécessaires qui sont collectées (principe de minimisation des données), et  que les données sont collectées avec le consentement de l’utilisateur, stockées et utilisées correctement.

En résumé, la protection de la vie privée implique un mélange d’anonymat dans certains cas, puis une collecte, une gestion prudente et étique des données dans d’autres.

La question qui se pose est de savoir comment décider quand nous devons choisir en faveur de l’anonymat, et quand nous ne le devons pas, en reconnaissant que le plus haut niveau de protection de la vie privée est lié à l’anonymat des personnes.

Il y a des tas d’exemples intéressants qui mettent en lumière ces questions. Par exemple, il semble logique et nécessaire de déclarer son identité pour acheter et conduire une voiture. Néanmoins, la liste des propriétaires de voitures n’est pas rendue publique. Cependant, si on nous demande de faire la même chose pour faire du vélo, cela nous choquerait.

Pourquoi ? La raison se trouve probablement dans le fait qu’il est plus probable qu’une personne puisse faire du mal dans une voiture que sur un vélo. Afin d’attraper ceux qui conduisent trop vite ou qui causent des accident, donner à la police la possibilité d’identifier le propriétaire de la voiture peut-être considéré comme légitime (si ce n’est parfait).

Le deuxième exemple s’appuie sur la comparaison entre les dossiers médicaux et les informations relatives aux déplacements d’une personne à l’intérieur d’un pays.

Nous acceptons généralement que les médecins accèdent à nos données de santé pour pouvoir nous soigner. Nous nous attendons bien évidemment à ce que ces informations soient correctement traitées.

A l’inverse, dans la plupart des pays du monde, nous ne nous attendons pas à être trackés quand nous nous déplaçons dans les villes, les régions où les pays où nous vivons. Bien sûr, nos téléphones le font souvent pour nous, quand nous en prenons conscience, nous mettons à jour les paramètres de nos appareils pour nous prémunir de ces risques.

Pour résumer, même s’il peut y avoir des situations où être suivis peut être utile (par exemple pour trouver une personne disparue ou pour utiliser plus facilement des cartes en ligne), beaucoup choisiront l’anonymat si l’option existe.

Dans cet exemple, bien que les données médicales sont sans doute plus intimes que des données de voyages, nous acceptons cette rupture d’anonymat parce cela nous apporte un réel avantage.

Qu’en est-il des bibliothèques ?

Dans beaucoup de bibliothèques, il n’est pas nécessaire de décliner son identité pour pouvoir entrer et utiliser les ressources disponibles (bien que la politique varie concernant l’utilisation des ordinateurs). Cependant, pour pouvoir emprunter des livres, une carte de bibliothèque est nécessaire, impliquant une perte de l’anonymat. L’argument consiste à dire que pour fonctionner le prêt à besoin de limites : sur les documents et le temps. Cela nécessite donc d’associer un compte à chaque emprunteur.

Le règlement de l’IFLA reconnaît tout à fait que les approches divergent, admettant qu’en plus de l’anonymat, dans certaines circonstances les bibliothèques peuvent détenir des données personnelles qui pourraient (mais ne devraient pas au moins sans consentement) être partagées avec des tiers.

les approches divergent, admettant qu’en plus de l’anonymat, dans certaines circonstances les bibliothèques peuvent détenir des données personnelles qui pourraient (mais ne devraient pas au moins sans consentement) être partagées avec des tiers.

L’homme sans adresse IP

Il est évident que l’argument du gouvernement autrichien consiste à dire que le préjudice causé par des discours haineux est suffisant pour obliger les individus à utiliser leur véritable nom en ligne.

A première vue, ce raisonnement est séduisant. Les discours haineux peuvent blesser des individus qui sont probablement en situation de fragilité et il est nécessaire d’y mettre un terme quand cela risque de provoquer un réel préjudice.

Cependant, ce n’est pas l’identification d’une personne qui empêche ce genre de choses de se produire. Finalement, c’est le signalement du contenu lui-même qui peut résoudre le problème. Cela peut être réalisé à travers un système de notification et de modération (transparente).

Qualifier un discours de haineux est également difficile. Bien qu’il puisse y avoir des cas assez évidents, il y a beaucoup de situations où il est difficile d’établir une distinction claire. Ce n’est pas parce que des propos peuvent être impolis ou offensants pour quelqu’un, qu’il s’agit nécessairement d’un discours haineux.

Cela fait écho à des situations où d’autres raisons sont invoquées pour censurer des contenus, telle que la sécurité (beaucoup de gouvernements prétendent que la moindre critique de leur action représente une menace pour la sécurité) ou la morale (souvent utilisée pour réprimer la communauté LGBTQI en portant atteinte à liberté d’expression).

Il est évident que certains auteurs de propos haineux réfléchiront peut-être à deux fois avant de publier des contenus en ligne s’ils doivent révéler leur identité. Mais ce n’est pas ce qui les empêchera d’avoir ces points de vue ou d’accomplir des actions motivées par ces derniers.  

De plus, il faut bien comprendre que supprimer le droit à l’anonymat risque de remettre en cause d’autres situations où l’anonymat est accordé par défaut, et affaiblirait ainsi  une protection essentielle pour les personnes et les groupes en situation de vulnérabilité.

Les personnes qui ont trouvé une communauté et le droit de s’exprimer en ligne qui leur a été dénié dans le monde physique risquent de le perdre à nouveau si leur identité devait être rendue publique. Ces personnes pourraient faire l’objet d’attaques physiques.

A un niveau moins extrême, le sentiment d’être surveillé peut avoir un effet dissuasif sur notre les  comportements en ligne en limitant la capacité des individus de suivre librement leurs centres d’intérêt et développer leur personnalité. Dans tous les cas, un gouvernement démocratique qui prendrait ce genre de mesure, même avec la plus louable intention, risquerait de légitimer celles et ceux qui pourraient contraindre le recours à l’anonymat pour sévir contre des opposants.

Les conséquences du RGPD ainsi que le Réglement de l’IFLA sur la Liberté Intellectuelle et la protection de la vie privée dans les bibliothèques impliquent que dans n’importe quelle situation, le plus haut niveau de protection de la vie privée devrait être l’anonymat.

Néanmoins, quand des bibliothécaires doivent faire face à des situations où il est possible de déroger au principe de l’anonymat. Il est important d’en être conscient afin de prendre la meilleure décision pour les usagers.

Source : IFLA

Une réponse à “Le droit à l’anonymat selon l’IFLA”

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