Sensibiliser aux risques de l’intelligence artificielle, une nouvelle mission pour les bibliothèques ?

L’actualité tech accorde une place importante à l’intelligence artificielle supposée améliorer notre quotidien en automatisant un certain nombre de tâches ou en s’intégrant à des dispositifs de sécurité. L’IA est encore fantasmée et son développement actuel est loin d’être aussi intelligent qu’on veut nous le fait croire.

Dans ce contexte, les bibliothèques peuvent-elles jouer un rôle dans le développement de l’IA ? Est-ce qu’en s’emparant de cette technologie, elles seront capables de sensibiliser les usagers aux enjeux de l’intelligence artificielle ? Ethique, vie privée, risques induits par la reconnaissance faciale, tout comme pour les données personnelles, les bibliothèques ont probablement une mission de sensibilisation et d’accompagnement à jouer.

Derrière le mythe existe tout de même une réalité qui s’appuie sur des algorithmes qui permettent à des machines ou des interfaces d’interagir avec des êtres humains. On le voit notamment avec le développement croissant des assistants vocaux (Siri d’Apple, Alexa d’Amazon ou Google Home). Certaines bibliothèques ont décidé de prendre le train en marche et d’intégrer des services qui reposent sur de l’intelligence artificielle. C’est le cas notamment de la bibliothèque publique de Roanoke County. Le site NextGov est revenu récemment sur cette expérimentation qui a mûri depuis. La fiche de poste du robot Pepper a été élargie et il fait plus de choses au sein de la bibliothèque. Ce qu’il faut observer dans ce projet s’étend au-delà de la dimension gadget du robot qui n’est en réalité qu’un prétexte. Selon la directrice Shari Henri, disposer d’outils comme Pepper est l’occasion d’assurer un accès à des technologies innovantes et constitue une opportunité éducative pour les usagers qui n’auraient pas la possibilité de vivre cette expérience par ailleurs. Ainsi, la bibliothèque permet de se pencher sur un des grands enjeux scientifiques et technologiques de notre société. D’un point de vue plus pragmatique, il est incontestable que ce genre d’opérations offre une publicité importante à la bibliothèque et lui assure une image attractive pour les usagers.

De son côté, Curtis Rodger, porte-parole de Urban Libraries Concil est tout à fait conscient que les « bibliothèques ne sont pas des experts en technologie. Mais nous sommes experts dans la façon dont les usagers apprennent, tissent des liens, développent leur carrière, ou s’intéressent aux questions civiques». L’organisation a lancé l’opération IA Initiative pour pouvoir accompagner les bibliothèques dans le développement de cette technologie. Selon lui, l’IA « transforme tous les aspects de nos vies, les bibliothèques mettent tout en œuvre pour continuer à  remplir leur rôle au sein de la communauté et la faire progresser ».  Dans un autre article consacré à l’IA, Thomas Finley de la bibliothèque de Frisco aux Etats-Unis, explique que sa bibliothèque met à disposition des kits d’IA pour les usagers. Ils utilisent également des kits DIY d’intelligence artificielle mis en place par Google pour apprendre à construire une caméra intelligente qui reconnaît des objets, détecte des émotions ou pour créer un haut-parleur intelligent… Au passage j’en profite pour signaler qu’il existe des solutions plus respectueuses de la vie privée comme Snips qui propose un kit de développement pour créer un assistant vocal.

Les installations artistiques constituent également une porte d’entrée pour explorer le domaine de l’intelligence artificielle. La bibliothèque publique de Cambridge dans le Massachusetts a organisé différents événements pour aborder l’IA. Le premier s’est traduit par la Laughing room. Il s’agit d’une pièce aménagée façon sitcom des années 80. Dans cette salle, un dispositif d’écoute connecté réagit à ce qu’il entend et émet un rire plus ou moins fort (façon sitcom) en fonction de ce que les participants disent. Le second est l’Alterspace, une installation interactive inspirée de la salle sur demande dans Harry Potter. L’objectif est de permettre à chaque usager d’avoir sa propre ambiance et de moduler un espace selon ses envies dans un espace partagé. L’Alterspace crée une ambiance sonore en fonction de ce que désire l’usager présent dans la salle. Au-delà de l’expérience artistique produite par ces installations, la démarche de la bibliothèque est « de réussir à amener les usagers à mesurer l’impact de la surveillance et de l’IA sur leurs vies d’une façon surprenante » en dépassant la vision binaire du bien ou du mal de cette technologie.

En sensibilisant les usagers, les bibliothèques peuvent peut-être jouer un rôle de garde-fou face au discours dominant savamment marketé qui pousse à nous convaincre des biens faits de l’intelligence artificielle. A travers des collections, des conférences, des ateliers ou des expositions interactives, les bibliothèques sont ainsi en capacité de faire s’interroger, de réfléchir et de construire son avis sur l’IA et l’idée d’une société dépendante et contrôler par des entreprises qui élaborent ces technologies. Comme l’explique Reinhard Engels, responsable de l’innovation et des technologies à la bibliothèque publique de Cambridge, les conséquences de l’intelligence artificielle sont trop importantes pour les laisser ce sujet aux mains d’un petit nombre d’experts ou aux sites diffusant des mauvaises informations devenir une source d’informations pour les usagers qui cherchent à trouver des réponses sur l’IA. Parce qu’elles sont « sûres, fiables et accueillantes, les bibliothèques ont un rôle essentiel à  jouer dans la compréhension et les réflexions autour de l’IA». Elles peuvent aider les usagers à comprendre les enjeux éthiques et sociaux que pose l’intelligence artificielle « en les aidant à devenir des citoyens éclaires, informés et engagés ».

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