Comment le confinement m’a contraint à rogner certains principes d’hygiène numérique

Le confinement dû à la crise sanitaire que nous traversons actuellement rend difficile la protection de la vie privée en ligne pour la majorité des confinés.

La vie privée, victime collatérale du Covid-19

La lutte contre la propagation du coronavirus se traduit par un éventail de mesures qui portent plus ou moins leur fruit jusqu’à présent. Mais une chose est sûre, nos libertés individuelles et notre vie privée ont fait les frais de cette épidémie. Depuis le début du confinement, j’alimente un thread sur Twitter dans lequel j’épingle les articles de presse qui abordent la question des outils numériques utilisés contre la propagation du virus.

La série d’articles consacrés à l’utilisation des moyens de surveillance et cette fuite en avant technologique sont le témoin que notre vie privée sera une des victimes supplémentaires du coronavirus. Le recours à la reconnaissance faciale, la géolocalisation, les drones ou des applis de contrôle du confinement risquent de nous habituer à ces outils et nous faire accepter que les pouvoirs publics y recourent en dehors de la lutte contre le terrorisme une fois que la situation sera revenue à la normale. Nous nous conformons progressivement aux exigences sociales induites par ces technologies.

Le télétravail, un poison pour nos données personnelles

Avec le confinement, celles et ceux qui en ont la possibilité ont recours au télétravail. Certaines professions s’y prêtent plus que d’autres. Pour les bibliothécaires, le confinement nous a contraint à nous mettre au télétravail dans des conditions difficiles. Nous n’avons pas la culture du travail à distance et le confinement aggrave la fracture numérique qui peut exister dans les équipes. Certains collègues, peu à l’aise avec le numérique, se retrouvent seuls à devoir utiliser des outils qu’ils ne connaissent pas ou mal. Les plus motivés d’entre-eux essaieront peut-être de trouver par eux-mêmes ou solliciter l’aide de leurs collègues. Mais une autre partie abandonnera face à cette situation d’échec pour laquelle ils n’ont pas été préparés.

Pour limiter les dégâts, en ce qui concerne mon expérience, cela s’est traduit par le recours à des outils qui fonctionnent le plus simplement possible et qui ne souffrent pas de problème de connexion. Autrement dit, nous avons accru notre dépendances aux services des GAFAM pour pouvoir travailler collectivement à distance. La surcharge de travailleurs en télétravail a rendu les alternatives libres rapidement inutilisables. A défaut de pouvoir utiliser un outil comme Etherpad, nous utilisons donc un Google doc. Malheureusement, les logiciels libres n’ont pas la puissance de feu des outils des GAFAM, ce n’est en aucun cas un reproche. Que les choses soient claires, je n’accable pas les développeurs qui consacrent toute leur énergie à développer ces outils parfois sur leur temps libre ou seul dans leur coin. Je suis même très reconnaissant. J’évoque juste mon expérience professionnelle dans le contexte du confinement et comment cette situation porte atteinte à mes valeurs éthiques du numérique.

On pourrait m’objecter qu’il est possible de déployer des instances de ces logiciels collaboratifs. C’est tout à fait vrai mais c’est une option qui n’est pas accessible à tous. Certes il y a de la documentation à foison qui explique comment installer une instance de Jitsi ou un pad mais les compétences d’administration système ne se limitent pas à une l’installation hasardeuse. Les questions relatives à la maintenance ou à la sécurité ne s’improvisent pas.  Comment faire pour comprendre un fichier de logs ? En conséquence, si on n’est pas un geek barbu, l’accès à des outils respectueux de la vie privée en temps de confinement n’est pas un luxe que tout le monde peut se permettre. De même, tout le monde ne peut pas s’offrir un abonnement Premium à des outils qui disposent d’une politique de confidentialité digne de ce nom. La bataille pour le droit au respect de la vie privée en ligne est intrinsèquement liée à des questions sociales. Enfin, combien d’entre-nous utilisons notre propre matériel pendant le télétravail ? Nous nous mettons en danger en prenant le risque de compromettre des données produites dans le cadre de notre activité professionnelle mais aussi des données présentes sur notre machine.

Cette situation de crise sanitaire rend plus inintelligible le discours de promotion des logiciels libres ou des alternatives respectueuses de la vie privée. En temps normal, ce n’est déjà pas simple de faire entendre ce discours. Ô combien j’essaie pourtant dès que l’occasion se présente. L’effet de réseaux qui s’applique à Facebook et qui rend difficile la bascule vers des réseaux sociaux respectueux de la vie privée de leurs utilisateurs est démultiplié avec le confinement.

J’utilise Signal régulièrement mais avec peu de personnes de mon entourage parce que la majorité a l’habitude d’utiliser WhatsApp, le SMS ou d’autres outils qui présentent plus de risques pour notre vie privée. En temps de confinement où le besoin de lien social et d’échanges s’exprime avec encore plus de vigueur, c’est encore plus difficile d’inciter son entourage à basculer vers des outils plus safe. Non pas que l’argument de la vie privée ne les intéresse pas mais parce que les usages sont tellement installés qu’ils sont difficiles à faire évoluer. Avec le confinement, cette tendance se renforce encore un peu plus.

L’usage de la visioconférence, à des fins professionnelles ou personnelles, explose en raison du confinement. La question de l’outil est crucial. Une fois encore, nous sommes condamnés à recourir à des Skype, des Zoom, des Facebook Messenger, des Hangouts qui exposent et mettent en péril notre intimité numérique. Le refus de recourir à ces outils en ces temps de confinement peut conduire à une marginalisation et à un isolement parce que la plupart des gens souhaitent disposer d’outils opérationnels le plus rapidement possible. Ce désir conduit à utiliser les outils  qui compromettent notre vie privée et nos données personnelles. Ceci est également la preuve que mes données personnelles n’existent qu’au travers de ma relation avec un tiers. « La vie privée a cessé d’être un droit individuel pour devenir une négociation collective » et cela n’a jamais été aussi juste.

 

2 commentaires à propos de “Comment le confinement m’a contraint à rogner certains principes d’hygiène numérique”

  1. Rétroliens : Confinement et outils numériques – TkPx – Tiers-Lieu Ephemere

  2. Rétroliens : Notes hebdo#11 – TkPx – Tiers-Lieu Ephemere

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