Quand le filtrage automatisé transforme les bibliothèques en propagande terroriste

Le début du mois d’avril a été marqué par une anecdote qui n’a pas fait beaucoup de vagues mais qui concerne l’ensemble des bibliothécaires. La plateforme Internet Archive a reçu des demandes de retrait concernant des liens supposés faire l’apologie du terrorisme.

Je suis Internet Archive

Chaque bibliothécaire devrait se retrouver dans un Internet Archive et ses missions. La fiche Wikipédia qui lui est consacrée le définit de la façon suivante

Internet Archive (ou IA) est un organisme à but non lucratif consacré à l’archivage du Web et situé dans le Presidio de San Francisco, en Californie. Le projet sert aussi de bibliothèque numérique. Ces archives électroniques sont constituées de clichés instantanés (copie de pages prises à différents moments) de pages web, de logiciels, de films, de livres et d’enregistrements audio.
Pour assurer la stabilité et la sécurité des données archivées, un site miroir fonctionnel est conservé à la Bibliotheca Alexandrina
en Égypte. L’IA met gratuitement ses collections à la disposition des chercheurs, historiens et universitaires. Elle est membre de l’American Library Association et est officiellement reconnue comme bibliothèque par l’État de Californie

SOurce : Wikipedia

Tiens, tiens, tout cela ne vous fait-il pas penser à quelque chose ? Internet Archive remplit une partie des missions d’une bibliothèque. Les deux partagent l’objectif de fournir un accès ouvert aux savoirs et à l’information et organiser les connaissances et leur transmission.

IA, EI même combat ?

Internet Archive a donc reçu début octobre une requête émanant de l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication (OCLCTIC). L’organisme chargé de la lutte contre la cybercriminalité a identifié un contenu et l’a assimilé à de l’apologie du terrorisme. Il s’agit d’un cas flagrant de faux positif. En effet, le contenu signalé est une vidéo d’un commentaire du Coran. Cela révèle le risque de confier la lutte contre le terrorisme à des algorithmes. Ils peuvent se tromper dans les cibles qu’ils identifient.

Certains professionnels ne se sentiront peut-être pas concernés par ces dommages collatéraux. Pourtant en regardant de plus près la liste des URLs considérées comme déviantes, il y a un lien qui renvoie à une bibliothèque. Plus précisément, il s’agit de la bibliothèque Smithsonian de la ville de Washington. Autrement dit, des milliers de documents risquent d’être rendus inaccessibles suite à ce signalement.

La bibliothèque Smithsonian identifiée comme un contenu à caractère terroriste
La bibliothèque Smithsonian identifiée comme un contenu à caractère terroriste

Les dispositions législatives nationales et extra-nationales prises pour lutter contre le terrorisme constituent parfois une atteinte à la liberté d’expression et le droit d’accéder à l’information. Deux éléments indispensables d’une société démocratique qu’un gouvernement doit protéger.

Tous concernés

L’IFLA explique que la notification de retrait de contenus terroristes peut être adressée à n’importe quel site de bibliothèque, où qu’elle soit. La nouvelle législation européenne (retrait des contenus terroristes en moins d’une heure) s’applique pour tous les sites sur lesquels les européens peuvent accéder quelque soit le contenu visé (en l’occurrence du domaine public) :

La notification de retrait de contenus terroristes peut être adressée à n’importe quel site de bibliothèque, où qu’elle soit. La nouvelle législation européenne (retrait des contenus terroristes en moins d’une heure) s’applique pour tous les sites sur lesquels les européens peuvent accéder quel que soit le contenu visé (en l’occurrence du domaine public) :

« Les bibliothèques elles-mêmes utilisent de plus en plus internet pour faciliter l’accès à leurs collections et remplir leur mission de diffusion de l’information et du savoir. Beaucoup d’entre-elles ont lourdement investi dans des plateformes, ou dans la numérisation d’œuvres destinées à être hébergées ailleurs [comme Internet Archive]. Il n’y a aucune raison fondamentale qui justifierait le blocage de ces ressources dans certaines régions du monde. »

Source : IFLA

Agir

Du point de vue de la symbolique, nous sommes confrontés par ce dommage collatéral. Cette notification porte directement atteinte aux missions des bibliothèques et au rôle qu’elles incarnent dans la société. D’un point de vue pragmatique, cette dérive nuit à l’exercice de notre métier. Nous ne pouvons tolérer ce genre d’actions qui s’apparente à de la censure. Les bibliothécaires, guidés par leurs associations professionnelles, ont su s’opposer et se mobiliser contre des cas de censure. Je regrette l’absence de réactions de la part des organisations professionnelles qui n’ont probablement pris la mesure de la gravité de la situation.

Une réponse à “Quand le filtrage automatisé transforme les bibliothèques en propagande terroriste”

  1. Rétroliens : Bibliothèques virtuelles accusées de propagande terroriste par un algorithme

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*